Olivia Grégoire : « Marine Le Pen a peur des responsabilités »
Ministre depuis 2020, Olivia Grégoire est l’une des figures du pouvoir macronien. Dans un univers peuplé de technocrates gris et parfois lisses, l’élue parisienne détonne par son style et son franc-parler. Secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale et solidaire sous le précédent quinquennat, Emmanuel Macron l’a nommée porte-parole du gouvernement à sa réélection, avant de la promouvoir à Bercy comme ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme lors du remaniement de juillet. Un secteur qu’elle connaît bien et qu’elle affectionne. Comme députée, cette libérale venue du privé qui a milité pour Alain Madelin avant de travailler auprès de Jean-Pierre Raffarin puis de Xavier Bertrand s’est particulièrement investie sur la loi Pacte, pour la croissance et la transformation des entreprises.
L’ancienne communicante a fait de la lutte contre le Rassemblement national le « fondement de son engagement politique », depuis le 21 avril 2002 et la qualification au second tour de l’élection présidentielle de Jean-Marie Le Pen. Aujourd’hui, alors que le parti à la flamme gagne du terrain, elle appelle son camp à redoubler d’efforts pour combattre Marine Le Pen. Autant sur le terrain des propositions qu’en rappelant les origines de ce parti qui compte 89 députés depuis les élections de juin. En pleine campagne législative, la quadragénaire avait d’ailleurs désigné le RN comme « l’ennemi à abattre, l’ennemi de la République ». Elle dit avoir subi ensuite le « boycott » du parti, illustration, selon elle, de la « stratégie d’ostracisation mise en œuvre par les populistes ».
Le Point : Cette première semaine de débats à l’Assemblée sur la réforme des retraites a été marquée par des échanges houleux. Votre majorité s’est retrouvée prise en étau entre l’obstruction de la Nupes et l’opposition discrète du Rassemblement national…
Olivia Grégoire : Il ne faut pas que l’arbre cache la forêt : la stratégie de bordélisation de la Nupes renforce la banalisation du RN. Plus les députés Nupes sont insupportables, plus ceux du RN passent pour sages ! Et plus le RN se banalise, plus il faut rappeler sa dangerosité. C’est à mon sens la responsabilité de notre majorité. La Nupes a déposé 20 000 amendements, le RN, à la peine, en a trouvé à peu près 200. Ne nous fions pas aux apparences, ce qui se passe du côté du RN est à l’image de leur présidente. Comme dirait Baudelaire, la plus belle ruse du diable, c’est de vous faire croire qu’il n’existe pas…
La seule boussole que suit Marine Le Pen c’est le sens du vent.
Vous voulez dire que Marine Le Pen se cache sur ce sujet ?
La stratégie de Marine Le Pen revient à prendre le moins de risques et de propositions possibles pour éviter de s’exposer. Il faut dire que sa position sur les retraites a été très changeante… Elle a assumé pendant un temps le retour à 60 ans, c’est devenu aujourd’hui très flou puisque c’est 60 ans, mais plutôt 62 pour certaines catégories de la population, jusqu’à 67 ans pour d’autres… Dans son programme, elle ne parle même pas de la pénibilité ! Marine Le Pen embrouille les Français pour mieux les enfumer. C’est un peu comme une anguille : plus on s’approche pour l’attraper, plus elle se défile. J’entends Marine Le Pen dire que cette réforme tombe au pire moment. Je réponds : y a-t-il un moment pour elle de faire preuve de courage ?
À LIRE AUSSIRéforme des retraites : le « en même temps » du Rassemblement nationalEmmanuel Macron a lui aussi évolué sur la question des retraites…
Nous disons depuis longtemps qu’il faut travailler davantage, nous disons depuis toujours qu’il faut réformer un système qui va devenir fortement déficitaire. Chez Marine Le Pen, ce sont des changements de pied paradoxaux et puissants pour aller dans le sens du vent. Et puis, les retraites ne sont pas le seul sujet… En 2012, elle défendait le déremboursement de l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Aujourd’hui, elle demande la constitutionnalisation de la loi Veil ! Sur l’Europe, elle a abandonné tous les fondamentaux du parti – sortie de l’euro, suspension de Schengen, référendum sur la sortie de l’UE – pour se draper dans des atours plus favorables. Sur la dette, elle a expliqué pendant des années qu’il suffisait de créer de la monnaie pour rembourser. Aujourd’hui, elle considère que cette dette est problématique ! Autre exemple, sur EDF : en 2016, elle voulait que l’entreprise soit 100 % publique. En 2022, quand le gouvernement prend cette décision, elle est contre ! Nous verrons ce que le RN propose sur la fraude, étant donné qu’ils disent qu’il y a des milliards à aller récupérer. Chiche ! L’énergie coûte plus cher ? Sortons du marché européen, disent-ils ! Mais personne ne leur demande ce qu’on aurait fait au mois de novembre quand on a dû importer de l’électricité… Peu importe les sujets, la seule boussole que suit Marine Le Pen, c’est le sens du vent. C’est aussi pour cette raison que ses députés sont mezzo voce : ils savent que sur de nombreux sujets, ils ont changé du tout au tout.
Vous ne citez pas la lutte contre l’immigration. Est-ce la seule constante du logiciel de Marine Le Pen ?
Oui, il y a là une certaine filiation avec son père. Derrière le sourire et les chats, on reste sur un projet qui est le même depuis des années : le rejet de l’étranger. Si Marine Le Pen arrivait au pouvoir, des centaines de milliers de personnes issues de l’immigration ou étrangères n’auraient plus vocation à travailler dans notre pays. Moi j’ai en charge les PME, le commerce, l’artisanat, le tourisme. L’hôtellerie et la restauration souffrent de pénurie de main- d’œuvre. Qu’est-ce qu’on fait ? On laisse les hôtels fermer ? Ou est-ce qu’on se dit de manière pragmatique que pendant trois ans ces personnes peuvent continuer à travailler le temps que l’on forme des chômeurs ? Il y a de la démagogie chez Marine Le Pen, mais pas de réponse.
Vous reconnaissez donc qu’il est difficile de combattre le RN ?
On peut ne pas être d’accord avec l’extrême gauche, mais il y a au moins des alternatives, le courage des positions. Nous devons être plus offensifs face à la tentative de respectabilité du RN. Il faut rappeler l’histoire de ce parti, notamment aux plus jeunes, avec une famille Le Pen qui tente depuis un demi-siècle d’accéder au pouvoir dans le seul but de diviser le pays.
Plus le RN s’installe, plus il est de notre responsabilité de dire qui ils sont et ce qu’ils proposent
Vous appelez donc à « rediaboliser » le RN…
Une partie de notre jeunesse ne connaît pas l’histoire du RN, du FN, de Jean-Marie Le Pen, de l’OAS, du Gud, de ce parti contre les étrangers. Face à ces députés qui ont l’air si sages, nous devons rappeler ces fondamentaux. Plus le RN s’installe, plus il est de notre responsabilité de dire qui ils sont et ce qu’ils proposent. À savoir rien, ou des choses qui ont tellement d’effets de bord ou d’aubaine que le remède serait pire que le mal ! Plus on rappelle leur identité xénophobe et populiste, plus on les énerve, puisque cela entrave leur stratégie de banalisation ! Il y a la cape d’invisibilité dans Harry Potter, Marine Le Pen se drape, elle, dans la cape de la respectabilité sans chercher à avoir des responsabilités. Il faut rappeler qu’elle est la fille de son père, que tout chez elle tourne autour du commerce de la peur. Cette peur qui paralyse, fait douter, perdre confiance et provoque l’angoisse du changement. Cette peur qui est le meilleur moyen de légitimer le fait de ne rien faire. Tel le roi Mithridate qui tous les jours mange un peu de poison espérant ne pas en mourir, Marine Le Pen instille chaque jour son petit poison, sur les étrangers, sur le déclassement. La peur permet d’adhérer à des solutions simplistes, marqueur du populisme. À LIRE AUSSIQuand le Rassemblement national s’embourgeoise
Dans Le Journal du dimanche, Marine Le Pen avait fait savoir qu’en cas de dissolution et de majorité pour son parti à la suite de nouvelles élections, elle refuserait de devenir Première ministre…
Quel refus d’obstacle ! Et pourquoi refuserait-elle ? Parce que c’est un poste où on fait, et faire c’est prendre un risque Elle est en quête de respectabilité, mais sans prendre de responsabilité. Les Français ne sont pas dupes, mais nous devons le rappeler. Marine Le Pen est hypégiaphobe. C’est la peur des responsabilités. La seule chose qui intéresse Marine Le Pen, ce n’est pas l’état de la France, c’est son accession au pouvoir. On voit bien d’ailleurs qu’elle a beau se dire patriote et porte-voix de la « France des BTS », quand le chômage baisse, elle ne s’en satisfait même pas ! À quel moment s’est-elle réjouie que depuis cinq ans c’est en France que les projets industriels s’implantent ? À quel moment s’est-elle réjouie que la France soit le seul pays à ne pas être en récession ? Même quand on a été champions du monde, sa satisfaction a dû être teintée de reproches sur l’équipe de France… À quel moment Marine Le Pen se réjouit d’une bonne nouvelle pour son pays ? Jamais !
Reconnaissez-vous une part d’échec dans l’espoir suscité par Emmanuel Macron en 2017 et son ambition de faire reculer le RN qui s’est finalement traduite par des millions de voix supplémentaires pour Marine Le Pen ?
Notre bilan sur le front de l’emploi mérite d’être souligné. Ce problème qui a dominé les débats politiques pendant vingt ans recule désormais mécaniquement dans les préoccupations et on fait comme si de rien n’était ! Les Français se rendent compte qu’on a réglé une partie du problème. Nous sommes toutefois collectivement responsables de ne pas avoir réussi à faire reculer le RN. Dans ce théâtre d’ombres, il est plus facile pour eux de gagner des points. Bien sûr qu’il est plus aisé de dire qu’on serait à la hauteur quand on n’a jamais été en responsabilité ! À un moment, les Français leur ont tiendront rigueur. Si en 2025 les députés RN sont toujours planqués sans formuler la moindre proposition, la question se posera : à quoi servent-ils ?
Nous devons matin, midi et soir dévoiler les arnaques du RN.
Votre offensive anti-RN reflète-t-elle une certaine fébrilité dans vos rangs quant à l’idée de céder le pouvoir à Marine Le Pen en 2027 ? Est-elle la favorite, comme beaucoup le disent au gouvernement et dans la majorité ?
Je ne peux pas me résoudre à vous dire oui. C’est une option crédible et c’est la raison pour laquelle nous devons matin, midi et soir dévoiler les arnaques du RN. D’ici 2027 nous disposons de quatre années pour continuer à travailler au service des Français pour répondre à leurs besoins.
En théorisant le clivage entre progressistes et nationalistes, Emmanuel Macron n’a-t-il pas contribué à installer le RN comme seule force alternative à la vôtre ?
Le président ne l’a pas installé, il n’a fait que le constater : il s’agit de la ligne de fracture partout en Europe ! Regardez autour de nous : l’ouverture versus le repli. Il a donc simplement théorisé un état de fait.
En 2027, Emmanuel Macron ne pourra pas se représenter. Faut-il dès lors que la majorité réfléchisse à un dispositif politique pour préparer sa succession ?
Nous ne devons pas tomber dans le piège qui consisterait à penser demain avant de résoudre aujourd’hui. Cela vaut pour toutes les échéances. Préparer 2027 en 2023, c’est du carburant pour les nationalistes !
À LIRE AUSSIQuatre ministres se positionnent déjà pour la mairie de Paris en 2026Avec la réforme des retraites, Laurent Berger de la CFDT pointe le risque de laisser prospérer un fort ressentiment dans la population, dont le seul débouché politique serait le RN…
J’entends ce que dit Laurent Berger. Mais nous ne pouvons pas ne rien faire sous prétexte que ce serait du carburant pour le RN. La montée du RN ne doit pas nous empêcher d’avoir le courage de réformer. C’est même le contraire ! L’addition serait beaucoup plus lourde si on ne faisait rien !
Quand une entreprise surperforme et produit des résultats remarquables, je suis favorable à une surprime pour les salariés
Quel regard portez-vous sur l’évolution de la mobilisation sociale ? Entendez-vous les mots d’ordre sur les conditions de travail, la rémunération ?
Cette réforme des retraites est l’occasion d’avoir un vrai débat sur le travail. Le débat sur le partage de la valeur que nous ouvrons prochainement est une vraie opportunité. J’ai pour ma part défendu le dividende salarié, que le président a porté dans sa campagne. Quand une entreprise surperforme et produit des résultats remarquables, je suis favorable à une surprime pour les salariés. Nous devons nous questionner sur les dispositifs de partage, sur les conditions et le temps de travail. Sur la mobilisation, je constate que ce n’est parfois pas le nombre qui compte, mais l’intensité. Tant qu’il n’y a pas de violence exacerbée comme on l’a connue avec les Gilets jaunes, chacun doit pouvoir librement s’exprimer.