Isolement, djihadisme, rivalités… Pourquoi est-il si difficile d’aider les victimes syriennes du séisme ?
Près d’une semaine après le puissant séisme qui a dévasté le sud-est de la Turquie et une partie du nord de la Syrie, les mêmes images de désespoir ne cessent d’affluer. Des immeubles effondrés, des corps ensevelis sous les décombres et des habitants désormais privés de toit. Ce samedi, le bilan humain faisait état de plus de 25.000 morts et devrait continuer de s’alourdir dans les prochaines heures. Si la Turquie a pu bénéficier assez rapidement d’une assistance internationale – 45 pays auraient proposé leur aide selon le président turc Recep Tayyip Erdogan – le voisin syrien apparaît comme le grand oublié de cette vague de soutien et ne peut compter que sur son principal allié : Moscou.
La Syrie, territoire isolé
Il faut dire que le pays baigne depuis 11 ans dans une guerre civile opposant le pouvoir central mené d’une main de fer par Bachar Al-Assad et diverses rébellions armées. Un conflit qui a progressivement isolé Damas et son dirigeant autoritaire et qui complexifie aujourd’hui l’envoi de secouristes dans la région. Le séisme a notamment frappé la zone rebelle d’Idlib, dont l’accès est sévèrement contrôlé par le régime, et endommagé l’unique point de passage depuis la frontière turque. Mais de façon plus générale, l’aide apportée à la Syrie après cette catastrophe naturelle, prend des allures de casse-tête pour les Occidentaux dont les relations diplomatiques avec Damas sont désormais réduites à la portion congrue.
S’agissant de la France, elles sont même au point mort depuis 2012. “Cela complique considérablement l’envoi de secouristes”, fait valoir Fabrice Balanche, enseignant à l’université de Tours maître de conférences en géographie à l’Université Lyon-2 et spécialiste du Proche-Orient. “Par ailleurs, pour Paris, il est délicat d’envoyer de l’aide sur place car on ne peut pas être certain de la bonne répartition de celle-ci. Or, il faut que cette aide aille à tout le monde, y compris dans les zones rebelles et il n’est pas sûr que Damas l’accepte”, poursuit-il.
Le risque de blocage turc
La région syrienne touchée par le séisme est en effet divisée en quatre zones contrôlées par des entités différentes. Apporter un soutien logistique dans l’une de ces zones reviendrait alors à en priver une autre et pourrait engendrer d’importantes secousses diplomatiques. “Par exemple, envoyer des secours à Alep, une ville contrôlée par le régime, ce serait reconnaître qu’il y a plus de sécurité dans la zone gouvernementale”, illustre Fabrice Balanche. “Quant au territoire rebelle d’Idlib, il est aux mains du groupe Hayat Tahrir al-Cham, une ancienne branche d’Al-Qaïda. C’est un émirat islamique dans laquelle on trouve notamment des djihadistes français”, assure le spécialiste. L’équation paraît donc bien insoluble pour les Occidentaux, logiquement réticents à s’aventurer dans cette partie du globe.
Enfin, l’attitude de la Turquie constitue un point de blocage non négligeable à l’acheminement de vivres en Syrie. “Les Turcs veulent qu’on les aide eux en priorité. Erdogan joue une partie de sa réélection là-dessus. Et il est impossible de prendre la direction de la Syrie par la route depuis la Turquie sans l’accord d’Ankara”, souligne Fabrice Balanche. Sans compter la haine viscérale que voue le régime turc aux populations kurdes, qui vivent encore dans la région, et qui ne peuvent donc rien espérer d’Ankara.
Ce samedi, Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’organisation mondiale de la santé (OMS) a apporté une maigre lueur d’espoir aux victimes du séisme côté syrien. Depuis Alep, il a annoncé l’arrivée de “près de 37 tonnes de fournitures médicales d’urgence”. Il en faudra certainement davantage pour tirer d’affaire une population déjà meurtrie par la guerre civile.