France: « Sublime », « magnifique »… Et si cette affiche était la plus excitante de l’histoire du Tournoi ?

Le Tournoi des VI Nations va vivre un moment d’histoire ce samedi, avec ce France – Irlande dans un Aviva Stadium de Dublin rempli jusqu’au ciel par près de 52.000 âmes. Pour la première fois, un match de la vénérable compétition « nordiste » va opposer les deux meilleures équipes mondiales, selon le classement de World Rugby, qui était jusqu’à récemment écrasé par le Sud : par les All Blacks surtout, et par les Springboks, parfois. Le meilleur joueur de la planète ovale en 2022 – le sécateur Josh van der Flier — affronte son prédécesseur – le génie Antoine Dupont. Une équipe qui reste sur 12 victoires à domicile se frotte à une formation qui vient d’aligner 14 succès de rang…

On arrête là les statistiques et les phrases dignes d’une affiche de blockbuster, comme celle diffusée sur les réseaux sociaux par World Rugby, la fédération internationale, avec les capitaines Johnny Sexton et Dupont en vedettes. Le demi de mêlée toulousain est bien seul pour essayer de calmer l’excitation ambiante. « Le premier contre le deuxième, ça peut faire saliver, mais ce n’est que le deuxième match du Tournoi, a tenté ce vendredi le capitaine de Bleus revanchards après un premier succès certes bonifié en Italie [24-29], mais salement raturé [18 pénalités concédées]. Il y a encore trois matchs après. Ce n’est pas du tout une finale. »

Désolé Antoine, mais on va quand même s’enflammer, avec la prose de Fabien Galthié comme combustible. « Bienvenue dans le sublime, le magnifique ! s’est exclamée jeudi la réincarnation lotoise du poète romantique Lamartine. Qui veut échanger sa place au coup d’envoi ? Il n’y a pas beaucoup de joueurs qui disent qu’ils ne veulent pas y aller. » Ou encore, en version plus pragmatique : « C’est l’un des plus beaux adversaires affrontés depuis 32 matchs [depuis le début du mandat de Galthié, lors du Tournoi 2020]. C’est notre quatrième rencontre, on commence à bien se connaître. »

Les Bleus ont remporté les trois premières : 35-27 en 2020, lors d’un match au Stade de France repoussé à la fin octobre pour cause de Covid, 13-15 en 2021 dans un Aviva Stadium à huis clos, toujours pour raisons sanitaires, et 30-24 l’an dernier à Saint-Denis, à l’issue d’un duel de très haut niveau. Mais cette fois, les hommes entraînés par Andy Farrell « sont largement favoris », comme l’indique Romain Ntamack.

Les Irlandais bourreaux des All Blacks

Une manière classique pour l’ouvreur toulousain de mettre la pression sur l’adversaire, mais pas seulement. Après tout, on parle d’une formation capable d’aller battre deux fois de suite la Nouvelle-Zélande chez elle, l’été dernier (12-23 puis 22-32). Cet exploit, jamais accompli par une équipe depuis la France de 1994, avait permis aux Irlandais de chiper la première place mondiale aux mêmes Français.

« Oui, nous sommes favoris, assume Bernard Jackman, ancien talonneur international du Leinster, avant d’entraîner Grenoble de 2011 à 2017. Sexton va jouer alors qu’il a raté les deux derniers matchs contre vous et pour nous, c’est le joueur le plus important. La France et l’Irlande sont clairement les deux meilleures équipes du monde. Mais qui est la meilleure ? On en saura davantage samedi. »

Merci Bernard pour le teaser, on ne fera pas mieux. Et n’allez surtout pas voir dans cette « enflammade » une lubie purement européenne. « Ici, le coup d’envoi est à 3h15 du matin, et je pense que beaucoup de personnes vont mettre leur réveil, sourit Kimberlee Downs, journaliste sportive pour la chaîne de télévision néo-zélandaise 1News. Lors d’une année de Coupe du monde, l’intérêt pour les VI Nations grandit énormément dans le pays. D’autant que cette fois, les All Blacks joueront contre la France lors du match d’ouverture, et qu’ils peuvent ensuite croiser la route de l’Irlande. »

« Le classement ne ment pas »

Et même si les « Tout Noirs » font partie de l’identité kiwi, notre collègue concède que « ces deux équipes sont actuellement les meilleures au monde » et met une pièce sur l’Irlande ce samedi. De l’autre côté de la mer de Tasman, Jim Tucker partage cette opinion. « Je dirai toujours que les Blacks sont l’équipe à battre dans le rugby mondial, mais le classement [de World Rugby] ne ment pas, lance le reporter australien, qui a couvert sept Coupes du monde. Parce que l’Irlande, à quatre reprises, et la France, une fois, affichent des victoires face à la Nouvelle-Zélande depuis le dernier Mondial [en 2019 au Japon]. Rien que pour cette domination sur les Néo-Zélandais, les Irlandais méritent d’être les n° 1. »

Bien que le XV vive dans l’ombre du cousin treiziste au pays de Margot Robbie et de Crocodile Dundee, les passionnés y braveront également le décalage horaire, assure Jim Tucker, « pour regarder le rugby joué à son meilleur niveau ».

Au fait, les Irlandais sont également très bons sur les ballons hauts, comme ici le demi de mêlée Conor Murray lors de la victoire au pays de Galles, samedi dernier
Au fait, les Irlandais sont également très bons sur les ballons hauts, comme ici le demi de mêlée Conor Murray lors de la victoire au pays de Galles, samedi dernier – Ben Evans / Huw Evans / Sipa

A Brisbane comme à Auckland, Cork, Toulouse ou Londres, on comptera donc les pénalités enquillées ce samedi par Johnny Sexton, qui n’est plus qu’à 14 points de son compatriote Ronan O’Gara (557), le recordman du Tournoi. A 37 ans, le demi d’ouverture aux 110 sélections, incroyable stratège, n’a toujours pas d’équivalent en Irlande, et pas beaucoup plus ailleurs.

Très peu utilisé par sa province du Leinster, principale pourvoyeuse de la sélection qui veille sur lui comme Picsou sur ses lingots d’or, cette « sorte d’entraîneur-joueur », selon le manager des Bleus Raphaël Ibanez, va bien tenir sa place. Il avait été un temps incertain, entre une béquille contractée samedi dernier lors de la démonstration au pays de Galles (10-34) et un énième protocole commotion visiblement probant.

La meilleure équipe d’Irlande de tous les temps ?

Le maestro aux tempes argentées animera une partition à la beauté austère mais terriblement efficace, dont l’ancien sélectionneur Joe Schmidt a été l’inspirateur de 2013 à 2019 (trois victoires dans le Tournoi des VI Nations, dont un Grand Chelem en 2018) : un jeu planifié à peu de passes, un petit peu plus créatif toutefois sous l’ère Farrell, et une vélocité incroyable sur les rucks, un secteur où les Bleus ont tant été pénalisés dimanche à Rome.

Les Français voudront prouver à Dublin qu’ils ont compris la leçon d’arbitrage, condition sine qua non pour continuer à rêver d’un deuxième Grand Chelem d’affilée inédit depuis l’arrivée de l’Italie en 2000. Les Irlandais visent quant à eux un quatrième « perfect » dans le Tournoi, après 1948, 2009 et 2018, pour rentrer dans l’histoire de leur sport et de leur pays.

Rendez-vous à la Coupe du monde

« Il y a un certain nombre d’équipes qui peuvent prétendre être la meilleure équipe irlandaise de tous les temps, juge Feargal O’Rourke, historien du rugby de l’île d’émeraude qui inclut dans le lot la rude bande de Willie-John McBride, dans les années 1970. Mais la sélection actuelle a la possibilité de trôner seule au panthéon, sans discussion, si elle fait le Grand Chelem cette année avant d’arriver en demi, en finale ou de gagner la Coupe du monde. »

Car pour l’heure, aussi incroyable que cela puisse paraître, jamais le XV au Trèfle n’a réussi à intégrer le dernier carré d’un Mondial. Remarquez, la France a joué trois finales, en 1987, 1999 et 2011, sans parvenir à rafler la mise. Mais avant de rêver à un sacre à Saint-Denis, le 28 octobre prochain, les deux plus sérieux favoris ont un compte à régler, ce samedi. Et ça devrait valoir le coup de raccourcir sa sieste ou sa nuit, selon le fuseau horaire.

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