Réforme des retraites : “Le gouvernement prend la responsabilité d’un durcissement du conflit”, prévient Philippe Martinez
Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, l’un des hommes clés du bras de fer engagé avec le gouvernement autour de la réforme des retraites, répond à nos questions.
La réforme des retraites poursuit son chemin législatif, avez-vous les moyens de faire plier le gouvernement qui est toujours déterminé à reporter l’âge de départ de 62 à 64 ans ?
Oui, la mobilisation des trois premières journées est très forte. Je pense qu’on va avoir encore une belle journée samedi. De notre côté, la détermination est absolue.
Jusqu’où êtes-vous prêt à aller dans la contestation ?
Elle est d’un très haut niveau, mais apparemment pas encore suffisante pour que le gouvernement la prenne en compte, nous mettons donc dans le débat d’autres propositions d’actions. Si cela ne suffit pas, il faut élever le niveau du rapport de force et il n’y aura pas d’autres choix de durcir le mouvement et d’aller vers des grèves reconductibles, il faut que cela soit débattu dans les entreprises, que les grèves s’amplifient.
Il y a une volonté du gouvernement de faire fi de ce qu’il se passe, personne ne peut ignorer que les mobilisations sont importantes, personne ne peut ignorer que l’opposition de l’opinion publique à ce projet de réforme, son soutien aussi aux manifestants. Plus de 40% des Français ne verraient aucun inconvénient à des grèves reconductibles.
La balle est maintenant dans le camp du gouvernement, ce sont eux qui prennent la responsabilité d’un durcissement du conflit.
Les syndicats de la SNCF ont appelé à manifester samedi, mais les Français qui partent en vacances ce jour-là ne devraient pas être pénalisés par des grèves. Est-ce qu’il en sera de même au-delà du 11 février ?
Cela se décidera démocratiquement dans les assemblées générales, je ne peux pas vous dire que qu’il se passera dans les semaines qui suivent. Cela dépendra de la position du gouvernement.
D’autres journées d’actions prévues
Une nouvelle journée de manifestation a été annoncée pour le 16 février. Philippe Martinez et Laurent Berger pourraient défiler ce jour-là ensemble à Albi, a révélé La Dépêche. Au-delà, “il y aura d’autres journées d’action en février et en mars, en tout cas c’est en discussion”, annonce le leader de la CGT. Les syndicats appellent déjà à une journée de manifestation et de grève reconductible le 7 mars. D’autres actions pourraient aussi avoir lieu le 8 mars, journée internationale des femmes. “Cette réforme est particulièrement injuste pour les femmes, qu’il y ait des mobilisations ce jour-là ne me paraît pas complètement stupide… On est en discussion pour l’instant”, précise-t-il.
Un blocage des raffineries vous semble envisageable ?
Si le gouvernement reste dans cette posture il y aura les raffineries et pas qu’elles…
Vous êtes prêt à bloquer le pays ?
Non, on va proposer aux salariés des grèves sous des formes différentes, peut-être pas 24 h / 24, mais deux heures par jour à certains endroits, 24h pour d’autres, ce sont les salariés qui décideront.
Vous appelez ça un blocage, moi j’appelle cela des grèves massives qui font qu’il n’y a plus d’activité dans les entreprises…
Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, disait mardi ne pas souhaiter de blocages… Un durcissement du mouvement ne mettrait pas à mal l’unité syndicale ?
Ce sont toujours les salariés qui décident en assemblée générale et cela ne pose pas de problème entre les organisations syndicales au niveau national. Dans l’intersyndicale, les positions sont claires et les débats sont francs, je suis très confiant sur la poursuite du mouvement dans l’unité.
Après deux fortes journées de contestation et une troisième un peu en deçà, vous espérez atteindre un pic de mobilisation ce samedi ?
Oui, la troisième journée a été en deçà du 31 janvier, mais un peu plus haute que le 19 janvier.
Quand on a du mal à boucler ses fins de mois, un salaire amputé d’une ou deux journées de grève cela pèse encore plus lourd, l’objectif est donc d’élargir ce samedi en permettant à tous ceux qui viennent nous témoigner leur soutien, mais rencontrent des problèmes de pouvoir d’achat, de se mobiliser eux aussi.
Je souhaite que la mobilisation soit très très forte.
Le sort de la réforme ne se jouera-t-il pas au Parlement, si LR soutient la réforme ?
Tout le monde souligne le rôle important des syndicats. Comme les députés doivent rendre des comptes à leurs électeurs, la mobilisation pèse sur ce qui se passe à l’Assemblée.Je constate d’ailleurs que certains votes à l’Assemblée sont justes, justes, pour la majorité… L’article liminaire a été voté à 10 voix près. Le gouvernement essaie d’amadouer LR en faisant quelques concessions, mais c’est du bricolage. Et, sur certains amendements, l’écart se réduit.
Le gouvernement se disait prêt lundi, dans nos colonnes, par la voix de son son porte-parole, Olivier Véran, à discuter et améliorer la réforme. Que lui répondez-vous ?
Si le gouvernement annonce qu’il retire son projet de loi on reviendra discuter parce qu’on considère qu’on peut améliorer le système actuel. Mais pas en repoussant l’âge de départ et en augmentant le nombre de trimestres requis.
Quel message souhaitez-vous adresser au président de la République et aux parlementaires ?
Quand il y a un tel niveau de mécontentement, il faut savoir écouter les citoyens, les électeurs, retrouver la raison et retirer ce projet de réforme.
Craignez-vous un recours au 49.3 ?
Tout est possible. Mais sur un tel sujet, avec une telle contestation, cela ne ferait qu’aggraver les tensions et jeter encore plus d’huile sur le feu.
Poursuivrez-vous votre mobilisation même si le texte est adopté ?
Il y a des textes qui ont été adoptés par le passé et qui, grâce à la mobilisation, n’ont jamais été appliqués. Je ne vois pas pourquoi nous changerions aujourd’hui.
Comment analysez-vous la stratégie du chef de l’Etat ?
Il considère qu’il a raison tout seul. D’autres auraient dit qu’il est droit dans ses bottes. C’est comme ça qu’il veut marquer sa présidence.
C’est grave d’avoir une telle position quand on a réaffirmé à l’issue de sa réélection qu’il fallait davantage écouter les citoyens, faire preuve de moins d’arrogance, qu’il fallait veiller à rassembler le peuple.
Emmanuel Macron joue gros avec cette réforme, mais vous aussi. C’est aussi la capacité des syndicats à peser sur l’action publique qui est en jeu aujourd’hui.
On joue notre rôle et, pour l’instant, on le fait bien. Après c’est à nous de continuer à faire en sorte qu’il y ait de plus en plus de monde dans la rue, de mobilisation, mais ce que je constate c’est que, alors que les syndicats étaient ringardisés, que beaucoup considéraient qu’ils ne servaient plus à rien, on est plutôt sur le devant de la scène en ce moment…
Ce mouvement peut-il donner un second souffle aux syndicats ? Enregistrez-vous, comme d’autres syndicats, de nouvelles adhésions ?
Les syndicats se portent très bien. Pour le seul mois de janvier, nous avons enregistré à la CGT plus de 10 000 adhésions. C’est plus du quart de la totalité des adhésions de l’année dernière !
Le syndicalisme est attractif quand il s’adresse à toute la diversité du monde du travail, de la jeunesse et des retraités. Il a besoin de se renforcer en France et ce qui se passe actuellement le confirme.
Laurent Berger s’interrogeait cependant sur le fait que les “gilets jaunes” avaient davantage été écoutés, alors qu’ils étaient moins nombreux dans la rue. Comment l’analysez-vous ?
Le président de la République, après avoir dit que les syndicats ne servaient à rien, gère à la petite semaine tout ce qui se passe dans le pays.
Mais les syndicats ont toute leur place dans ce conflit et le gouvernement devrait faire un peu plus attention à ce qui se passe. S’il continue de s’entêter, des citoyens peuvent considérer qu’il faut être plus radical pour faire entendre sa voix. C’est toujours un risque.